dimanche, décembre 06, 2009

Là où il y a du gène, y a-t-il du business ?


Alors que se termine le Téléthon français entamé dans une sordide polémique lancée par les propos de Pierre Bergé dans l'émission « Parlons net » sur France Info, le 20 novembre, le climat général de méfiance — exacerbé sans doute par la campagne en cours de vaccination contre la grippe H1N1 — fait rapidement oublier que c'est grâce à cette collecte qu'en 1992 furent publiées les premières cartes du génome humain (Généthon). En 1997, cependant, le Généthon était réorienté vers des activités de mise au point de thérapeutiques et l'on créait, l'année suivante, Génopole à Evry avec l'objectif de réunir en un même lieu des laboratoires de recherche académiques et privés, des entreprises de biotechnologies et un enseignement de haut niveau — un pôle de compétitivité avant l'heure. D'après la plaquette de présentation, à fin 2008 Génopole comptait 22 laboratoires de recherche académique, dont un institut national, 16 plateformes et plateaux techniques, dont 5 labellisés IBiSA (Infrastructures en Biologie Santé et Agronomie), 64 entreprises de biotechnologies, avec 448 brevets déposés et 25 molécules ou biothérapies, dispositifs médicaux ou diagnostiques de la phase préclinique réglementaire à la phase de lancement commercial et 180,78 millions d'euros d'investissement levés au cours des dix premières années.

 



Cette même semaine, c'est en Islande que se jouait un nouvel acte de l'évolution du business de la génomique. Alors même que le public français est appelé à faire des dons pour soutenir financièrement la recherche et de développement de cette industrie naissante, la startup de génomique deCODE, emblème de l'innovation islandaise basée à Reykjavik, se déclarait en cessation de paiements. Son destin semble particulièrement illustratif de l'enchevêtrement entre politiques industrielles et politiques de santé publique, recherche et innovation et grands mouvements économiques. deCODE a été fondée en 1996 par Kári Stefánsson, un neurologue charismatique d'origine islandaise et formé aux meilleures universités américaines. Avec la mise au point des techniques modernes de séquençage et de cartographie du génome — celles-là mêmes qui firent les premiers succès du Généthon sous nos latitudes — le Dr Stefánsson eût l'idée de se mettre en chasse des origines génétiques de maladies communes, de la schizophrénie ou du cancer par exemple, en exploitant un vivier extraordinaire dont il était lui-même issu : la population islandaise ! En effet, sa superbe insularité ayant isolé cette population depuis des millénaires, son patrimoine génétique collectif se trouve être particulièrement homogène, des données généalogiques et les dossiers médicaux de la population sont disponibles depuis le début du XIXe siècle, et les maladies communes y sont prévalentes dans les mêmes moyennes que dans la population mondiale. (Critères à méditer en ces temps de conceptualisation hexagonale de « l'identité nationale », dont on verra que le remugle n'est pas étranger aux événements qui ont affecté le développement de la startup.)

 



Avec de tels atouts, deCODE devint le pionnier des études génétiques à grande échelle qui inspirèrent nombre de travaux de recherche sur la médecine personnalisée depuis lors. Son IPO, fort attendue, se déroula dans l'oeil du cyclone de la Bulle, en juillet 2000, la valorisant à un plus d'un milliard de dollars. À cette époque déjà, deCODE s'était alliée au géant de l'industrie pharmaceutique Roche (en 1998) pour l'exploitation de sa base de données génétiques unique dans la recherche des facteurs génétiques d'une dizaine de maladies. Roche était à l'occasion devenu actionnaire de la société, en application d'une stratégie industrielle explicite. Cependant, et malgré un accord exclusif avec le sourcilleux ministère de la Santé du gouvernement islandais pour créer la base de données génétique de la population insulaire, deCODE était rapidement confrontée à des difficultés de tous ordres. Aux termes de l'accord, deCODE n'avait pas besoin du consentement individuel de chacun pour l'utilisation de ses données médicales privées, pourvu que la base de données ainsi constituée satisfît les conditions posées par la Commission gouvernementale sur la protection des données — l'équivalent de notre CNIL. D'atermoiements en repentirs, de changements de cap en rétractions, le contexte juridique s'épaississait alors de jour en jour, souvent dans un climat de polémique entre praticiens de Santé et management de deCODE.

 



La société ne fut non plus pas exempte de critiques issues du monde scientifique. Alors qu'elle concentrait ses efforts sur des études à large spectre (GWAS pour Genome Wide Association Studies), elle aurait ignoré les avancées technologiques, comme les SNP-chips (puces dédiées à l'analyse ultra-rapide des variations d'une seule paire de base du génome — ou SNP, Single Nucleotide Polymorphism). D'autres critiques mettent les difficultés récurrentes de deCODE sur le compte de sa transformation à marche forcée en société de recherche pharmacologique (drug-discovery) devant les réticences des autres industriels à s'abonner à sa base de données. deCODE avait même lancé un service de génomique personnelle, deCODEme, dans la même veine que 23andMe, l'icône du DTC, Direct-To-Consumer genomics.

 



La déconfiture de deCODE, alors que l'Islande voit l'effondrement de son système bancaire, victime de la crise économique, remet aujourd'hui sous les projecteurs les questions de confidentialité. L'intention étant de vendre la propriété industrielle — essentiellement la base de données, donc — au fonds Saga Investments, créancier de la société, on s'interroge sur le sort des données privées, soit des dossiers médicaux de milliers d'individus, qu'elle contient. (Saga Investments appartient aux fonds Polaris Venture Partners et ARCH Venture Partners, actifs dans les biotechnologies depuis longtemps.)

 



Quant à l'enfant chéri de la biotechnologie personnalisée de la Silicon Valley, 23andMe, elle est également confrontée à quelques difficultés en son jeune âge — la startup a été fondée en 2006 par Linda Avey et Anne Wojcicki qui devait devenir l'épouse de Sergueï Brin le cofondateur de Google, dans le mariage le plus médiatisé de la Vallée avant celui, cette semaine, de Marissa Meyer, employée n°3 chez Google, autrefois dit-on très proche de Larry Page, l'autre cofondateur de l'ogre de Mountain View, avec Zach Bogue, l'incroyablement bien nommé à nos oreilles françaises !). Brin avait certes investi à titre personnel dans 23andMe — « Il est vrai: cela ferme la bouche à tout, sans dot. Le moyen de résister à une raison comme celle-là ? » —, suivi par Google et le fonds NEA. Mais le prestige de ces actionnaires n'a pas empêché sa cofondatrice, Linda Avey, de quitter la startup en septembre dernier pour créer une fondation dédiée à la lutte contre la maladie d'Alzheimer, ni la société d'annoncer les premiers licenciements de son histoire en octobre.

 



TruGenetics, un autre représentant de ces sociétés innovantes du DTC genomics, avait jeté l'éponge en août dernier, ayant échoué à se refinancer.

 



La succession rapide de ces événements pousse évidemment à se reposer la question de la viabilité du business model de la DTC genomics. Des bases de données génétiques constituées par le seul appel au grand public, sur un plan marketing-communication « génomique récréative et amusante », peuvent-elles réellement servir de base à des études scientifiques de valeur pour la santé publique ? Question scientifique mais également éthique bien sûr. Sans parler du labyrinthe de la protection des données privées individuelles, en particulier celles du dossier médical et de la généalogie, en cas de changement de contrôle des sociétés gérant ces bases de données. En France, l'arlésienne du DMP est remise à 2013, on verra d'ici là !

 



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