jeudi, avril 30, 2009

Et l'on rit dans la piraterie !


La réflexion sur les usages du Net mérite certainement mieux que les
pantalonnades pathétiques qui nous sont données en spectacle ces
derniers temps. En France, le projet de loi « Création et Internet »
dit « Hadopi », qui a été repoussé il y a peu par l’Assemblée
nationale dans des conditions rocambolesques, repassera devant la
chambre autant de fois qu'il le faut pour qu'il soit voté — le
Président et la Ministre en font un point d'honneur. En Suède, la
transcription dans le droit national de la directive européenne IPRED
(Intellectual Property Rights Enforcement Directive) est entrée en
vigueur le 1er avril — choix judicieux de date ! —
dans une implémentation particulièrement totalitaire qui rappelle les
meilleures feuilles du texte de la loi Hadopi.

 



La Suède toujours, fort opportunément pour nos députés transformistes
à vue, vient de condamner lourdement les fondateurs du site The Pirate
Bay
(TPB), LE site de téléchargement peer-to-peer démonisé par
l'industrie de l'édition musicale. Les trois fondateurs et le business
angel
qui les a financés au démarrage ont été condamnés à un an de
prison ferme et 2,7m d'euros de dommages et intérêts par la justice
suédoise, excédée, il est vrai, par les provocations répétées du site
qui se clamait très publiquement — au point de fonder un
parti politique — « le premier site de téléchargement
BitTorrent ». Voilà qui devrait faire réfléchir d'ailleurs tous les
heureux assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune en France
qui cherchent fébrilement ces jours-ci la rédemption fiscale et
l'onction de la loi TEPA. S'improviser business angel sur l'incitation
ferme de la puissance publique peut parfois mener insensiblement au
délit et peut-être même au pénal ! Le juge suédois a déclaré que « les
utilisateurs de TPB sont les premiers coupables » mais que les
responsables du site les ont aidés dans leurs actes de
contrefaçon. Des complices en somme ! On voit ici combien est grande
la scandinave mansuétude puisque les internautes sont déclarés
coupables mais les complices trinquent. (Curieusement, le juge, Tomas
Norstrom, a confirmé appartenir à la Swedish Copyright Association et
siéger au conseil d'administration de la Swedish Association for the
Protection of Industrial Property
, deux associations de défense des
droits d'auteur au sein desquelles il a pu côtoyer les trois membres qui
ont représenté l'industrie du divertissement au cours du procès.)

 



En tout cas pas de telle pusillanimité sous nos cieux républicains et
sourcilleux : l'autorité nouvelle, Hadopi, agira par coupure d'accès
après sommations d'usage, sur dénonciation sans preuve d'acteurs
privés travaillant dans ou pour l'industrie du divertissement et des
médias. Dans le même élan coercitif, un sous amendement glissé par
M. Kert, député UMP des Bouches-du-Rhône, dit que « la collaboration
entre une entreprise de presse et un journaliste professionnel porte
sur l’ensemble des supports du titre de presse tel que défini au
premier alinéa de l'article L. 132-35 du code de la propriété
intellectuelle, sauf stipulation contraire dans le contrat de travail
ou dans toute autre convention de collaboration ponctuelle ». Les
journalistes perdent ainsi leur droit de regard sur la republication
de leurs articles dans tous les médias, y compris électroniques, d'un
groupe de presse.

 



C'est le même principe que le Google Book Search Settlement Agreement
: avis aux auteurs, vous avez jusqu'au 5 mai pour vous précipiter sur
le site et y réclamer votre droit de regard sur vos ouvrages. Passée
cette date, c'est Google qui fera en pratique ce qu'il voudra sur
leurs publication en ligne après numérisation — même pour les auteurs
non américains du moment que leurs livres sont accessibles aux
Etats-Unis ! Et pourquoi donc Google ne subirait-il pas en retour les
foudres de l'Hadopi ? Libraires, éditeurs, bibliothèques, auteurs ont
pourtant du souci à se faire devant l'hégémonie impérialiste et
scélérate qui menace l'exception culturelle française... Ne faut-il
pas que Mme Albanel entame immédiatement la riposte graduée contre
Google en envoyant séance tenant un courrier électronique de première
sommation, elle qui recevait naguère Mats Carduner de Google à bras
ouverts pour lui demander — défense de rire sinon coupure d'IP —
« des suggestions et des recommandations » afin « d'augmenter la
visibilité du patrimoine culturel français sur Internet » ? Pour être
complet ajoutons que la justice américaine vient d'ouvrir une enquête
sur cet accord établi entre Google et les associations d'auteurs en
octobre dernier autour de Google Books Search, ledit accord violerait
les lois antitrust.

 



Peut-être serait-il plus judicieux de surveiller et punir les
internautes finalement. Suggérons de demander à NKM, dans le cadre
grandiose de France Numérique 2012, d'instaurer une taxe sur le
keyword recherché sur Google depuis une adresse IP située en
France. (Beaucoup plus simple pour remplacer la taxe professionnelle
que l'équation insoluble d'une éco-taxe carbone !) Collectée, par
exemple, par les fournisseurs d'accès qui reverseraient une soulte au
Trésor Public chaque année, l'abonnement mensuel serait majoré d'une
taxe pour chaque terme recherché sur Google. Comment cela pourrait-il
marcher ? Il suffirait pour cela de chercher l'inspiration chez nos
amis du Céleste Empire. Pour expérimenter à la maison — attention
cette petite expérience vous signalera certainement aux autorités de
censure chinoise et inscrira à n'en pas douter votre adresse IP dans
la liste noire des odieux suppôts de la piraterie :

 




  • Ouvrez un autre onglet dans le navigateur que vous êtes en train de
    consulter et pointez le vers baidu.com, le site de recherche basé
    en Chine — et leader devant les autres dans ce pays.


  • Cherchez un terme anodin comme « Internet » et obtenez une série de
    résultats d'apparence banale.


  • Cherchez maintenant « Falun Gong », le nom connu d'une secte
    religieuse dissidente poursuivie par le gouvernement chinois.


  • Le navigateur vous notifiera probablement d'une erreur technique
    (connexion interrompue, serveur inaccessible, délai d'attente
    dépassé ou autre). Essayez alors de revenir sur la page d'accueil
    de baidu.com et là-aussi : soudain problème technique pour un site
    auquel vous accédiez sans difficulté une seconde auparavant. Il vous
    faudra attendre quelque peu avant que la connexion soit finalement
    rétablie.



Une taxe Google se rapprocherait, dans l'esprit si ce n'est à la
lettre, de celle qui frappe tous les supports vierges pouvant contenir
des oeuvres culturelles vendus en France : CD et DVD inscriptibles,
par exemple, mais également iPod et autres lecteurs MP3, et même
bientôt les clés USB et disques durs externes. Depuis plus de vingt
ans, cette taxe est censée dédommager les ayants droit (artistes,
producteurs, interprètes...) pour la copie de leurs ouvres sur un
support autre que celui acquis à la base. C'est la rémunération pour
copie privée. D'ailleurs tout acheteur de media vierge ou de lecteur
MP3 et de smartphone est évidemment un délinquant en puissance
susceptible de priver Mmes et MM. Adjani, Kaas, Aznavour, Hallyday,
Voisine ou Renaud du privilège de (peu) payer leur impôt dans les
paradis fiscaux honnis de la liste noire, gris taupe, anthracite ou
gris muraille !

 



Car au-delà des ripostes techniques que les militants du Web espèrent
opposer à l'inexorabilité de la loi Hadopi (streaming, complexité
accrue du triple play, serveur d'anonymat...), au-delà des esprits de
pointillisme juridiques qui espèrent encore que
les remontrances de Bruxelles viennent contrer l'inévitable cavalier
seul français, il me semble légitime de poser plutôt la question du
nouveau régime de surveillance qui s'instaure progressivement. Passons
aussi rapidement sur la question des moyens attribués à l'éventuelle
Hadopi — si l'on en juge par l'impécuniosité chronique de la CNIL
dénoncée depuis tant d'années, il est prématuré de s'inquiéter de
l'impact réel de cette haute autorité sur les comportements réels des
internautes. Loin donc des provocations à l’égard d’un gouvernement qu’il
est maintenant de bon ton de conspuer, supposé représentatif d’une
France bien pensante et proche des préoccupations d’une industrie du
disque moribonde, ici comme ailleurs, il convient de s'interroger sur
l'analyse qui soutient le projet de texte et sur la pertinence des
« solutions » qui prévaudront au final.

 



Le constat de départ du texte, comme aux Etats-Unis, et comme l’avait
été la loi DADVSI en son temps, repose sur la volonté d'enrayer le
piratage d'oeuvres au format numérique — un sujet sur lequel nul
gouvernement ne se serait risqué sans d’insistantes pressions de
certains professionnels et industriels de ces métiers. L'origine de
l'idée de contrer le piratage est donc selon toute vraisemblance
privée. Le diagnostic d'origine privée serait le suivant : l’industrie
du disque, dont le chiffre d’affaires s’est écroulé, comme chacun
sait, ces dernières années, maintient constamment y voir le résultat
d’un piratage de masse. L’industrie du cinéma, qui regarde elle aussi
d’un mauvais oeil les échanges de fichiers peer-to-peer, seul visé
aujourd'hui, et dans une moindre mesure, l’industrie du jeu vidéo
auraient rejoint celle du disque dans ce lobbying discret mais
efficace. Il est facile de condamner les échanges illicites, car non
rémunérés, d’oeuvres protégées par le droit d’auteur. Mais tout ce qui
est simple et de bon sens n’est pas forcément juste, et encore moins
inaliénable. L’avènement du numérique a menacé une forme d’échange de
bien culturels auparavant contrôlée et source de profit — comme dans
la presse traditionnelle confrontée aux sites Web d'actualités en
ligne. Cela n’a pas eu que des aspects négatifs, donnant à toute une
génération accès à une culture auparavant inaccessible car trop chère
pour être consommée en masse ou absente des médias de grande diffusion
: c'est la théorie de la « longue traîne », d'où peuvent pourtant être
tirées de nouvelles sources de profit comme le montrent
quotidiennement les Amazon et les Google. Pour ces industriels des
médias le « retour à la raison » face à la libération explosive de la
musique et de la vidéo numérisée sur le Net consisterait à revenir au
statu quo antérieur où prévalait leur mainmise complète sur la
diffusion limitée et contrôlée du bien culturel — cet usage est celui
de la rareté, du bien précieux, de l’achat parcimonieux du CD audio,
autant d'attributs qui disparaissent une fois numérisés.

 



Au plan technique on retiendra la métaphore fondatrice du texte de loi
: celle du radar routier qui contrôle le flux de citoyens motorisés
sur le réseau routier et autoroutier. Le dispositif technique s'en
écarte néanmoins sur un certain nombre de points assez révélateurs.

 



D'abord les flux de fichiers protégés par le droit d’auteur seront
surveillés par des sociétés privées, payées par les ayants
droits. Elle ne relève donc pas, comme pour les radars autoroutiers,
de la puissance publique directement. Cependant la question de la
traçabilité effective de l'IP, objet de cette surveillance, est
problématique. Les trackers BitTorrent, par exemple, sont (sciemment
?) pollués d'adresses IP aléatoires, cryptées ou totalement
innocentes. La question est évidemment primordiale puisque sa réponse
conditionne la faisabilité du dispositif central de la loi Hadopi. En
faisant l'hypothèse qu’une IP fautive soit identifiée, la société de
surveillance se rapproche alors du FAI correspondant, et se voit
théoriquement présentée l’identité de l’abonné fautif. Les frais et
les impératifs techniques de cette étape ne sont pas totalement
négligeables, et en discussion avec les FAI. La société de
surveillance dénonce alors l’internaute fautif à l’Hadopi, laquelle se
charge d’appliquer des sanctions dans le cadre de la maintenant fameux
riposte graduée. Le plus intéressant, à mon sens, est la possibilité,
prévue dans le texte, d'imposer à l’abonné de s’équiper d’un logiciel
homologué par l’Hadopi, censé le surveiller jusqu’à lui garantir un
comportement conforme. Ce « mouchard » n'est évidemment pas défini et
n'existe pas encore : il serait payant et pas forcément compatible
avec tous les systèmes d'exploitation du marché ! (Notons que dans le
cas des bornes WiFi il paraît difficile de déléguer la sécurité à un
des mouchards des ordinateurs connectés.) Enfin, la présence d'un
mouchard est elle-même une vulnérabilité supplémentaire : l'affaire du
rootkit qui profitait du DRM imprudemment distribué à l'insu des
utilisateurs par Sony BCG a été hélas vite oubliée !

 



Le réseau de surveillance privée ainsi créé et adoubé par la puissance
publique sera, on l'imagine aisément, rapidement confronté à des
problèmes techniques, légaux — au plan du droit des données privées
et du respect de la vie privée, par exemple, nonobstant le silence
assourdissant de la CNIL sur le sujet Hadopi —, sans parler des
conflits d'intérêts inextricables. (Alors que dans le même temps on
glose sans fin sur la présomption d'intrusions informatiques du réseau
Greenpeace par des officines de barbouzes retraités commandités par
l'électricien public, signaux pourtant avant-coureurs de la Nouvelle
surveillance style Hadopi — deux poids, deux mesures.)

 



Une idée radicale serait de recourir en masse — internautes français,
réagissez ! — à l'encryption généralisée des connexions IP et des
échanges. Et ceci avant que l'Internet Nouveau promis par le
projet CleanSlate de l'Université de Stanford et soutenu par tous les
grands opérateurs monopolistiques de réseaux ne prennent les devants !
D'autant plus que les mesures technique Hadopi ne visent, pour
l'instant, exclusivement que les réseaux peer-to-peer de première
génération (à la BitTorrent) sans avoir apparemment vu le
développement rapide des réseaux P2P anonymes, des possibilités des
réseaux mobiles mesh, du streaming et des serveurs d'anonymat.

 



Après la séquestration des patrons, il est temps de passer à grande
échelle et de pratiquer la séquestration des internautes.

 



vendredi, avril 10, 2009

Il faut que de ce fat j'arrête les complots, Et qu'à l'oreille un peu je lui dise deux mots (Tartuffe, de Molière)


Le 2 avril dernier Microsoft et TomTom déposaient, chacun de son côté,
dans l'État de Washington et en Virginie respectivement, une notice of
dismisssal without prejudice
qui mettait brusquement fin à un
contentieux entamé le 25 février dernier par le géant de Redmond. Tout
est évidemment dans le « without prejudice » qui, en légalais
d'outre-Atlantique, n'exclut pas que le cas soit ultérieurement ramené
devant un tribunal par une des parties, si l'autre ne se conforme pas
aux termes de la transaction établis entre celles-ci.



Cette fameuse transaction qui met un point final, mais peut-être
seulement temporaire, aux hostilités engagées fin février est décrite
comme un « accord » par TomTom mais comme un « accord de licence » par
Microsoft dans son communiqué de presse. L'insistance de Microsoft à
faire référence aux brevets qu'elle détient fournit une grille de
lecture de ce nouvel épisode de la guerilla entre le camp Linux et
l'éditeur de Redmond.



Depuis l'échauffourée Novell-Microsoft de novembre 2006, qui aboutit à
l'engagement de Microsoft à ne pas poursuivre en justice les
utilisateurs de SuSE Linux — la distribution rachetée par Novell —
et uniquement eux, moyennant une couverture légale portant sur les
brevets et un accès autorisé au portefeuille de brevets de l'un et de
l'autre, ainsi qu'un versement de plusieurs centaines de millions de
dollars à un Novell exsangue, Microsoft déploie une stratégie
exploratoire des nouveaux champs que lui ouvriraient ce pacte de
non-agression mutuelle dans le camp adverse.



C'est bien une invitation à payer que Microsoft décochait ainsi le 25
février dernier à TomTom N.V., le leader des systèmes GPS, sous la
forme brutale d'une plainte, avec copie à l'Internationl Trade
Commission
de Washington, portant sur la violation supposée par TomTom
de huit brevets détenus par Microsoft :




  • Cinq brevets ayant trait à l'informatique de navigation embarquée à
    bord d'un véhicule (numéros 6,175,789 ; 7,054,745 ; 6,704,032 ;
    7,117,286 et 6,202,008) dont la lecture pourrait d'ailleurs
    inquiéter tour fabricant de systèmes de navigation GPS.


  • Trois brevets plus anciens (numéros 5,579,517 ; 5,758,352 et
    6,256,642) portant sur les systèmes de fichiers dits FAT (File
    Allocation Table) et les noms de fichiers courts et longs et leur
    équivalence.



Ce sont ces derniers, en particulier, qui ont provoqué un émoi
bruyant dans la communauté Linux prompte à s'enflammer aux premiers
bruits de bottes de l'ennemi atavique. Cet emballement soudain avait
poussé Horatio Gutierrez, l'avocat de propriété intellectuelle de
Microsoft, a calmer le jeu comme si la vivacité de la réaction avait
surpris Microsoft. Il avait alors insisté sur « la préférence de
Microsoft pour la signature de licence d'exploitation avec ses
partenaires, même ceux qui utilisent Linux » — tout était dit.



FAT est une précieuse relique des temps immémoriaux de MS-DOS, dont le
mythe fondateur nous ramène au démiurge Bill Gates lui-même et à
l'employé n°1 de Microsoft, le méconnu Mark McDonald, charriant en
1976-77 un code à la dense texture pour la gestion des floppies dans
la version NCR de l'impérissable Microsoft Disk Basic.



En 1979, poursuit le récit mythique, Tim Paterson, à l'époque employé
de la société Seattle Computer Products découvre FAT sur le stand que
SCP partage avec Microsoft à la National Computer Conference. Paterson
s'empare de l'idée et l'implémente dans le système de fichiers de
86-DOS (QDOS : Quick and Dirty DOS), un système d'exploitation tout
neuf pour les cartes mères 8086 à bus S-100 de SCP. C'est ce 86-DOS
qui fut racheté par Microsoft et devint le point de départ pour MS-DOS
version 1.0, livré pour le premier IBM PC en août 1981. Comme tout
code à vocation provisoire il a donc persisté, cru et embelli — si
l'on peut dire — pendant plus de trente ans, se répandant à toute
forme de stockage magnétique jusqu'à nos modernes clés USB.



C'est cette ubiquité qui, malgré l'appel opportuniste de Jim Zemlin de
la Fondation Linux à abandonner FAT ou la généralisation d'un ext4
stable dans le noyau Linux, impose, en particulier dans l'embarqué, de
rester compatible avec le format trentenaire. Sinon on rend périlleux
l'échange et la transmission de données sur support magnétique,
disque, flash ou autres.



TomTom, comme nombre d'autres fabricants d'équipements, a choisi Linux
comme base du système d'exploitation embarqué pour ses applications
« métier », la navigation GPS. Et, tout comme nombre d'autres
fabricants, TomTom cherche à assurer la compatibilité avec
l'omniprésent système FAT. La page GPLv2 du site Web cite la liste
exhaustive des librairies Linux et des librairies tierces utilisées
dans ses produits où figure, comme il se doit, en bonne place
dosfstools une bibliothèque utilitaire pour accéder et
travailler avec les systèmes de fichiers FAT sous Linux.



Les connaissances opératoires sur FAT relèvent au mieux d'une
tradition orale folklorique transmise de hacker à fanatique du reverse
engineering
. (La page de documentation des spécifications de FAT32 sur
le site de Microsoft est protégée par un accord de licence ! Je ne
peux donc rien vous en dire.) Il y a trois tribus de FAT, les FAT12,
FAT16 et FAT32, dernier maillon d'une évolution calquée sur celle des
capacités de stockage des supports magnétiques au cours des âges. La
bibliothèque et l'outil dosfsck sont l'oeuvre de
Werner Almesberger et de Roman Hodek, prolixes contributeurs au noyau
Linux depuis 1992. On y trouve, en particulier, l'injonction à
l'obésité suivante :




static void get_fat(FAT_ENTRY *entry,void *fat,unsigned long cluster,DOS_FS *fs)



qui est le sésame de l'accès aux secteurs du disque stockant les
fichiers recherchés. (Et au passage permet également de
celer fort secrètement une information précieuse et confidentielle
dans certains champs inoccupés des secteurs FAT, une technique
élémentaire de l'analyse forensique semble-t-il.)



TomTom, suivant en cela la GPLv2 à laquelle il se conforme
scrupuleusement, remet également en ligne à la disposition du public
sa version du dosfstool telle qu'elle est employée dans
ses propres produits. C'est peut-être ce sentiment de vertu outragée
devant la plainte assénée par Microsoft qui le poussa à répliquer, le
16 mars dernier, et à déposer à son tour une (contre-)plainte à
l'encontre de Microsoft devant un tribunal de Virginie. Pourquoi en
Virginie ? C'est parce qu'apparemment dans cet État, précisément dans
l'Eastern District, la justice est expéditive et la plus rapide des
USA — seulement huit mois en moyenne entre le premier dépôt et le
jugement ! (Ces tribunaux sont surnommés les rocket dockets.) Et que
TomTom n'a pas les moyens d'attendre : plombés par
l'acquisition de TéléAtlas pour 2,9 milliards d'euros en 2008, les
comptes de TomTom sont en lourdes pertes et la perspective d'une
procédure traînant en longueur contre un titan aux poches pleines
comme Microsoft n'est certainement pas très engageante. Il n'est pas
difficile d'imaginer que quand l'occasion de transiger s'est
présentée, TomTom n'a pas tardé à crier « pouce ». (Je sais, je sais...)
À l'occasion on apprend aussi comment ont été brevetées
les indications pour tourner à une intersection ainsi que
l'affichage des points de vue pittoresques par un système de
navigation...



Dans une telle plainte, relative à une violation de brevets, l'issue
est généralement soit le retrait des éléments en infraction avec les
brevets du produit incriminé, soit le paiement contractualisé d'une
licence d'exploitation des brevets et leur maintien dans le produit en
question. Là où réside l'ambiguïté de la transaction provisoire entre
TomTom et Microsoft est qu'il semble que les deux options constituent
simultanément les termes de la transaction : TomTom s'engage à retirer
de ses produits, sous 2 ans, la fonctionnalité relative aux noms de
fichiers longs sous FAT et néanmoins à payer une licence
d'exploitation — montants non révélés — à Microsoft pour les huit
brevets mentionnés. En retour, chacun s'engage à une paix mutuelle
pendant cinq ans et TomTom se déclare en parfaite conformité à la
GPLv2 — comment concilier cette déclaration avec l'usage commercial
d'une licence d'exploitation de brevets ? Mystère !



À la lumière de la communication financière de TomTom, cette décision
de transiger vite n'est peut-être pas aussi surprenante que certains
observateurs semblent vouloir le penser. L'escarmouche crée cependant
un précédent dans les difficiles et complexes relations entre
Microsoft et la communauté de l'Open Source. Eben Moglen avait déjà
attaqué, il y a deux ans, l'accord Novell-Microsoft sur la base de la
nouvelle définition de la « propagation » de travaux Open Source dans
la GPLv3 : le communiqué de Microsoft et de TomTom prend d'ailleurs
bien soin de préciser la version en question ici est la version 2 de
la GPL. Pour le Software Freedom Law Center, que Moglen dirige, cette
transaction n'implique nullement que TomTom fût en infraction avec les
brevets de Microsoft ni que ces derniers ne fussent valides ni que
même l'accord entre les deux parties ne contredît les licences des
noyaux Linux ou des autres codes que TomTom utilise. La
Public Patent Foundation est moins affirmative et s'interroge sur
l'infraction éventuelle à la GPL qu'entraînerait cet accord entre
Microsoft et TomTom.



Relisons donc Montaigne, en laissant à votre sagacité le soin
d'imaginer qui est Xerxes et que sont ces voluptés : « Xerxes estoit
un fat, qui, enveloppé en toutes les voluptez humaines, alloit
proposer prix à qui luy en trouveroit d'aultres ; mais non gueres
moins fat est celuy qui retrenche celles que nature luy a
trouvées ». (Livre III des Essais.)



Liste noire


Dans l'encyclopédie naissante, reflet de ce siècle qui s'annonce comme
celui renouvelé des Lumières de l'économie et dont le titre, « Le
Capitalisme mondial du Savoir éclairé », pourrait être emprunté à
Borges, devrait figurer une classification des noirceurs appliquées
aux listes. La doxa de la noirceur dont le bourgeonnement actuel
s'opère au rythme spasmodique et irrégulier des réunions incantatoires
des grands financiers d'Etat de la planète prolonge — même si les
communiqués de presse consensuels et les déclarations soft ne le
clament pas explicitement — la critique anti-newtonienne du XVIIème
siècle, les théories de la couleur du Moyen Age et celles de
l'Antiquité : la modification de la lumière par l'obscurité.




  • la Liste noire des paradis fiscaux, naguère peuplée du Costa-Rica,
    des Philippines et de la Malaisie, aujourd'hui déserte : c'est le
    résultat majeur d'un G20 confusément réuni dans un Londres
    bunkerisé comme aux meilleures heures des pluies de V2.


  • Liste noire des transporteurs aériens faisant l'objet d'une
    interdiction d'exploitation générale dans la communauté européenne,
    reprenant les critères de « sécurité, transparence et qualité »
    imaginés par le gouvernement Villepin aux derniers mois de 2006.


  • Liste noire de personnalités censées avoir donné des informations
    diffamatoires aux médias étrangers dans le but de noircir l’image
    de la Hongrie, publiée en novembre 2000. La Hongrie qui figurait
    encore il y a peu sur la :


  • Liste noire du blanchiment du GAFI (Groupe d'action financière sur
    le blanchiment de capitaux) qui rend régulièrement publique une
    liste de pays et territoires hospitaliers à l'argent sale et
    non-coopératifs dans la lutte contre le blanchiment.


  • Liste noire des néophytes (les plantes exotiques introduites depuis
    1500 apr. J.-C. se reproduisant à l'état sauvage) envahissantes de
    Suisse qui causent actuellement des dommages au niveau de la
    diversité biologique, de la santé et/ou de l'économie. La présence
    et l'expansion de ces espèces doivent évidemment être
    empêchées. L'introduction des autorités américaines interrogeant
    fermement UBS sur le secret bancaire pourrait-elle tomber sous
    la qualification de « néophyte envahissant » ?


  • Liste noire, voire nosocomiale, des hôpitaux exclus du palmarès de
    « la surveillance du site opératoire ».


  • Liste noire de la Commission d’enquête parlementaire sur les
    sectes : créée en 1995, elle dressa une liste de 172 mouvements
    philosophiques, spirituels et religieux qu’elle catalogua comme
    sectes.


  • Listes noires innombrables de sites Web inappropriés ou jugés
    inadéquats par les autorités nationales donnant inévitablement lieu
    à d'édifiants démêlés : en Australie, en Tunisie, à

    Cuba, en Iran, en Chine et en France.


  • Liste noire des adresses IP sources de spam sur la Toile.


  • Liste noire des espèces invasives du Global Invasive Species
    Program (le GISP).


  • Liste noire des composés chimiques de la Convention de Stockholm
    sur les polluants organiques persistants (les POP).


  • Liste noire des vaisseaux qui ont participé à une pêche au-delà des
    quotas négociés dans les eaux internationales d'espèces soumises à
    la réglementation des eaux sous juridiction des pêcheries
    norvégiennes.


  • Liste noire des artistes des HUAC Hearings de 1947 en plein
    maccarthyisme.


  • Liste noire des livres interdits en Corée du Nord, séditieux ils
    porteraient atteinte aux valeurs morales des militaires


  • Liste noire des OGM de GreenPeace.




C'est ainsi que se peignent les divers degrés du Principe de
Précaution, achromatique et constitutionnel. Il convient, en effet,
d'employer le ton rabattu en toute occasion. (On rabat une couleur en
y ajoutant du noir. Elle devient donc plus foncée. Rabattre une
couleur, c'est lui enlever de sa luminosité, atténuer son intensité en
y mettant sa complémentaire, on obtient alors une teinte.) Ainsi des
couleurs du monde en temps saturés de crise et d'inquiétudes
durables... Au début du XIXème siècle, Johann Wolfgang von Goethe dans
le Farbenlehre énonçait : « la saturation exprime non seulement
l’éloignement du blanc, mais aussi l’éloignement du noir. Dans une
définition générale, la saturation exprime l’éloignement des valeurs
grises, achromatiques. ».



mercredi, avril 01, 2009

Incunabula Typographiae


Dans le cadre des mesures pour le patrimoine, la ministre de la
culture et de la communication, Christine Albanel, ayant, pour
l'occasion réuni la presse dans l'imposant scriptorium de l'abbaye de
Cluny, annonçait aujourd'hui avec Bruno Racine, président de la BnF,
le lancement du programme national de préservation analogique du
patrimoine immarcescible et encyclopédique de la République Française
(le PAPIER).



Notons que cette annonce, arrivant à la veille de l'examen du projet
de loi « Création et Internet » — toujours aussi controversé — sonne
comme un gage consenti à ses opposants pour apaiser l'esprit
querelleur qui caractérise les débats. L'annonce doit également être
replacée dans le contexte de la transformation du secrétariat à
l'économie numérique en secrétariat d'Etat chargé de la Prospective et
du Développement durable de l'écologie numérique, toujours sous
l'animation et la coordination de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui
obtient ainsi un élargissement de ses responsabilités plus conforme à
son génie rural. (Le secrétariat déménage d'ailleurs dans un buron
aménagé du Causse Méjean avant l'hivernage ; tout l'ancien mobilier de
la rue Saint-Dominique est en vente sur priceminister.com à prix
cassé.)



Dans son introduction aux nouvelles mesures du plan PAPIER, Mme
Albanel repris à son compte les conclusions de la Commission présidée
par le sémioticien et linguiste Umbertout Eco sur l'avenir, somme
toute, très incertain du livre numérisé et du document numérique en
ligne. En substance, résumait le philosophe et écrivain dans un
volumen parcheminé remis à la Commission appropriée, « j'ai la mémoir'
électronique qui flanche, j'me souviens plus très bien » : la
multiplication des supports de stockage et leur durée de vie limitée
posent la question de la sauvegarde du savoir. Invoquant avec le
respect obséquieux qu'il exige le Principe de précaution, « la
France », indiquait la ministre, « ne pouvait laisser l'enjeu de la
lutte contre cette numérisation éphémère et cosmopolite de la mémoire
de l'humanité au sordide mercantilisme à courte vue des suppôts
californiens du libéralisme sauvage ! ».



Voilà, de la part de Mme Albanel, un soudain revirement de
sentiments. Le capitalisme qu'on ne saurait voir aujourd'hui avait
pourtant naguère encore ses entrées au ministère de la Culture. En
octobre 2007, la ministre n'avait-elle pas rencontré Mats Carduner de
Google France pour lui demander de « formuler prochainement ses
suggestions voire ses recommandations à l'attention du ministère de la
Culture et de la Communication pour augmenter la visibilité du
patrimoine culturel français » ? Le « Grenelle de l'Exception
culturelle » que l'on nous annonce incessamment permettra sans doute
une large confrontation des opinions sur la diffusion et la
préservation du patrimoine numérique de la République.



Car c''est évidemment au thème de la préservation que se rattachent
les premières mesures annoncées aujourd'hui par la ministre plus qu'à
celui de la diffusion (sur lequel le géant de Mountain View semble
porter une ombre lourde de menaces et de stock-options).



Le nouveau projet de loi PAPIER prévoit en effet que tout document
numérique en ligne accessible en France devra désormais être
converti au format analogique à des fins de préservation durable, sous
peine de sanctions — suivant le dispositif dit de « riposte
graduée », cette modification du droit français, que le monde entier
nous envie et dont l'objectif est de permettre la tenue de campagnes
de traque, d'avertissements et de répression de masse, ciblant les
internautes publiant sur Internet sans fournir de copie dûment
enregistrée, à leurs frais, sur « papier chiffon ».



Comme le remarquait le médiéviste et critique littéraire Umbertout Eco,
les incunables et les codex, qui ont traversé plus de cinq siècles,
restent aujourd'hui lisibles alors qu'il est pratiquement impossible
de relire les premiers courriers électroniques, pourtant à peine
trentenaires. (Ne parlons pas des bandes magnétiques et autres floppy
disks
qui ont pavé l'avènement de la micro-informatique populaire.)



En liaison avec les Pôles de compétitivité Techtera et UP-tex de la
filière textile, le ministère débloque un budget conséquent pour la
restauration des filières de production de papier « pur chiffon »,
seul support analogique présentant une résistance éprouvée au passage
du temps. « De plus », ajoute la ministre, « le coût du lecteur
optique pour ce support, le Lecteur Optique Bifocal de Support
Analogique
ou lunettes, est habituellement remboursé par les mutuelles
et pèsera donc peu dans l'économie globale des mesures PAPIER ». Les
communes de Rives, en Isère, d'Arches dans les Vosges et d'Ambert dans
le Puy-de-Dôme, sont inscrites au Registre national des Paperassopoles
technologiques à vocation mondiale. Elles seront rasées et
intégralement transférées, avec leurs habitants en costume
Renaissance, sur le site parisien de l'Imprimerie Nationale racheté
par l'Etat pour 377 millions d'euros, en 2007, au fonds Carlyle qui
l'avait acquis en 2005 auprès du même Etat pour 85 millions.



Seconde mesure phare du projet de loi PAPIER, la préservation
analogique du patrimoine numérique, présentée comme la première étape
du programme plus ambitieux « *Incunabula Typographiae: le Web
Incunable* ». Il s'agit tout simplement d'étendre la conservation
légale sous forme incunable (et au format CODEXML) à tout document
publié sur le Web quelle que soit sa forme et son origine. La réussite
de cette patriotique ambition repose évidemment, comme le note la
ministre dans son allocution, sur trois avancées majeures sociétales
et technologiques de la France :




  • La disponibilité de grandes zones rurales désertées, propices à
    l'archivage dans des conditions exceptionnelles des premiers 650
    milliers de tonnes que représenterait — d'après les estimations
    conservatrices du Ministère des Poids et Mesures — l'univers en
    ligne indexé par Google, Yahoo!, MSN et Ask au début 2009. La
    répartition des Conservatoires de l'Analogique s'inspire de Hadoop
    et a fait l'objet d'une communication de l'INRIA. En distribuant
    les incunables dans un réseau géographiquement réparti de
    conservatoires autonomes, on optimisera la gestion des pigeons
    voyageurs chargés de porter les requêtes des utilisateurs au
    Conservateur en chef de chaque établissement et de faire circuler
    les messages de synchronisation des catalogues entre les sites.


  • Une gestion « morale et juste » des droits d'auteurs qui contraste,
    dans la bouche du ministre, avec les « inacceptables conditions
    imposées par l'hégémonie des moteurs de recherche américains ». Le
    Ministère annonce la prochaine création de la Haute autorité des
    droits d'auteurs et droits analogues dérivés de l'analogique
    (l'allitérante Hadadada) qui maintiendra un Registre officiel des
    incunables (la Société des Ayant-droits Récupérant Ensemble les
    Commissions et Oboles Légitimes du Travail Encyclopédique, le
    SARECOLTE). Aux termes du projet de loi, les ayant-droits qui ne
    sont pas manifestés sous quinzaine à l'Hadadada seront réputés
    avoir abandonné au Conservatoire tous leurs droits, droits
    voisins, droits dérivés et autres. Le SARECOLTE, une organisation
    indépendante sur le modèle de la SACEM, sera le seul intermédiaire
    autorisé pour la redistribution des paiements reçus par le
    Conservatoire relativement à la consultation des incunables. En
    sens inverse, le SARECOLTE est le médiateur officiel entre le
    Conservatoire et les ayant-droits dans l'expression des niveaux
    d'accès qu'ils souhaitent autoriser à la forme analogique de leur
    oeuvre numérique. Les anciens dirigeants d'Eco-Emballage sont
    pressentis pour la direction de l'Hadadada et du SARECOLTE.


  • La valorisation, enfin, de la recherche industrielle française par
    le soutien du Fonds stratégique d'investissement à la PME
    Débeurdinoir, SA, dont les dirigeants, les employés et leur
    famille, leurs amis et parents, leurs vagues connaissances et tout
    leur carnet d'adresse sur Facebook, Copains d'avant et LinkedIn ont
    solennellement, et devant huissier assermenté, renoncé à leurs
    stock-options, bons de souscription d'actions à prix d'exercice
    cassé, bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises,
    actions gratuites, actions de préférence, carried interest, soultes
    occultes, actions à dividendes prioritaires et mot compte triple,
    parachutes de tous ordres, golden shakehand et prêts d'honneur,
    green shoe et bonus de fin de semaine, de mois, de trimestre,
    d'année, de décennie, de siècle, de bienvenue, de départ, de
    retour, primes d'administrateur indépendant, d'administrateur sous
    influence, et abandonné à leurs leviers de buyout, véhicules de
    fonction, appartements de service, gardes du corps, à pied, à
    cheval et en voiture, ainsi qu'à leurs carve out, leurs comptes
    bancaires, à vue, rémunérés, numérotés, à l'étranger ou ailleurs,
    et, venus à résipiscence, ont volontairement rendus leur patrimoine
    acquis et à venir sous toute forme mobilière, immobilière ou autre
    quelle que soit la juridiction. D'ores et déjà la société
    Débeurdinoir, SA, s'engage, par ailleurs, aux meilleurs efforts
    pour relocaliser son siège social dans un des nombreux enfers
    fiscaux mis en place dans l'Hexagone par la loi TEPA amendée des
    derniers travaux du G20/Monotaxe-Unitaxe.



Rappelons que Debeurdinoir, SA, établie à La Gauffre, à proximité de
la frontière suisse, a été créée par des protes objecteurs de
conscience, en dissidence de 4DigitalBooks d'Ecublens. La société a le
monopole exclusif de l'Imprimante à incunable, fleuron des
nanotechnologies, nationales d'abord et, par métonymie,
européennes. Les brevets originaux couvrent la reconstitution
programmable du papier pur chiffon par « insertion de nanotubes de
nitrure de bore formant maillage de vergeures et de pontuseaux dans
un tamis absolument identique à celui reconstitué par examen
tomographique de l'épair de dix-sept volumes de référence choisis de
la Réserve des livres rares de la BnF ».



Le crédit impôt recherche, les brevets et un détachement du bataillon
de commandement et de soutien de la brigade de l'OTAN, stationné dans
le parking de l'entreprise, protègent également le procédé de foulage
électromécanique mis au point par la R&D de Débeurdinoir, SA. D'après
le document de base de la société, visé par l'AMF : « les quets sont
assemblés sous atmosphère contrôlée après croissance du flotre
hétéroépitaxique par la méthode Bridgman-Stockbarger ; la porse ainsi
constituée en bain humide est ultérieurement pressée et son foulage,
contrôlé par laser ultraviolet, est garanti égal et homogène ». Dans
la dernière étape, enfin, le document numérique est téléchargé du Web
et transcodé en CODEXML, un DTD dérivé de TEI adapté à la
reconstitution analogique des incunables (lettrines, rubriques,
enluminures, miniatures, lettres champies, caractères onciaux et
semi-onciaux, frontispices, cartouches et bandeaux). Il ne reste plus,
sous protection du détachement, qu'à charger les camions qui livrent
sous escorte militaire les incunables patrimoniaux aux cinq
Conservatoires enfouis de préservation nationale aujourd'hui actifs.



« Contrairement aux fermes de serveurs des datacenters », se félicite
le Ministre de l'environnement joint par vidéo-conférence à la buvette
de l'Assemblée, « qui contribuent massivement au réchauffement global,
dégagent des gaz à effet de serre, gaspillent de précieuses calories,
assèchent nos vignobles et nos nappes phréatiques et menacent
riverains et environnement, les cinq Conservatoires français
d'enfouissement durable, baptisés respectivement Colombier, Raisin,
Jésus, Coquille et Couronne sont exemplaires du Grenelle ! Santé !
Leur localisation reste confidentielle et leur organisation, bien
entendu, tenue secrète mais, assure le Ministre, « située sur le
territoire de la République française, hors d'atteinte de Google Earth ! ».



La question des droits d'auteurs, on le comprend du discours de la
Ministre, a été abordée sans hésitation dès la conception du
projet. Afin de couper court aux atermoiements qui menèrent en fin
d'année dernière à la jurisprudence Google Books, et plutôt que
d'adopter la position inique
illustrée par le formulaire Google de déclaration de droits, le
gouvernement dans l'expression d'une volonté irénique mais ferme
propose une nouvelle instance, la Hadadada — qui devrait travailler
en bonne intelligence avec la Hadopi, la Haca, la Halde, la Has et la
Hac, toutes aussi hautes et autoritaires — et l'organisation d'un
Registre publiquement accessible sous la responsabilité de la
SARECOLTE. Son nouveau portail est mis en place à l'URL :




https://www.internet-signalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/Accueil!input.action



encourageant la dénonciation anonyme et citoyenne des malvenus qui
s'imagineraient publier en ligne sans délivrer de copie papier pur
chiffon aux services du Conservatoire, pour préservation.



Enfin, par décret, un nouveau concours de catégorie A de la fonction
publique est créé, portant sur les rangs et titres de Conservateur de
l'Analogique et de Curateur de l'Incunable (semblables, dans les
grandes lignes, à celles du concours de
Bibliothécaire d'Etat). Placées sous la direction de la nouvelle
Secrétaire d'Etat au PAPIER, Letizia Alvarez de Toledo, les premières
promotions de curateurs de l'incunable devraient trouver leur
affectation multi-séculaire en conservatoire enfoui de préservation
nationale dès le 1er avril 2010.



Seule ombre au tableau, l'opinion du philologue et grammairien Umbertout
Eco qui, interrogé ce matin sur le Nom.de.la.prose, rapporte le jugement
d'un ancien bibliothécaire aveugle de la Bibliothèque nationale de
Buenos Aires qui pourtant observait que : « cette vaste Bibliothèque
était inutile : il suffirait en dernier ressort d’un seul volume, de
format ordinaire, imprimé en corps neuf ou en corps dix, et comprenant
un nombre infini de feuilles infiniment minces. (Cavalieri, au
commencement du XVIIe siècle, voyait dans tout corps solide la
superposition d'un nombre infini de plans.) Le maniement de ce soyeux
vademecum ne serait pas aisé : chaque feuille apparente se
dédoublerait en d'autres ; l’inconcevable page centrale n’aurait pas
d'envers. »



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